« Je me précipitai en bas de mon perchoir. Il y avait un attroupement sur le pont. Au centre, le bosco parlait en claquant des dents. Ses paupières tressautaient. De l’endroit où nous étions, il avait vu, en se penchant par-dessus la lisse, apparaître une sorte de spectre. Cela glissait sur l’eau, debout dans une embarcation, en émergeant lentement du brouillard, sans un bruit, pareil à un esprit. Arrivé à sa hauteur, la face énigmatique s’était tournée vers lui en grimaçant un sourire.
Un horrible sourire.
Un sourire à deux bouches. »
Il y a plusieurs semaines que Le Neptune navigue dans les mers australes. Son capitaine a pris possession, au nom du roi Louis XV, des terres découvertes – îles, presqu’îles ? Angel, jeune métis d’un indien et d’une française, passager clandestin puis matelot, est bientôt pris en otage par cette curieuse peuplade à deux bouches. A ce moment du récit, est-on encore dans le monde réel des géographes ou déjà dans un monde imaginaire, né de nos rêves d’explorateurs ? En effet, loin de décrire des Alakalufs comme Jean Raspail, François Place invente un peuple étrange, les Woanoas, dont les coutumes empruntent autant aux chamans du Grand Nord qu’aux peuples du Pacifique. Etrange construction ethnologique et poétique à la fois ! Mais en rien irénique, car, dans ce roman d’aventure, la violence est partout : violence des éléments, violence des baleines tueuses et des grands phoques, violence des hommes, en particulier des « Plumes grises ». Ces adolescents vivant en marge du village se défient à la chasse et, au printemps, partent cueillir de curieuses « fleurs de mer » dont les fumigations « ouvrent les yeux dans la brume » et « donnent forme aux Esprits du Feu et du Froid ». Et honni soit qui mal y pense !
Dès 12 ans, adolescents et adultes
François Place, Angel, l’Indien blanc, Casterman, 2014, 230 p., 15 €